(Imprimerie de A. Delarue Bayeux 1861)
1ère partie du chapitre 1er : Topographie de la commune de Saint Vigor le Grand
-Limites-Etendue- Population-Aspect-Nature du sol-Produits-Industrie.
La commune de Saint Vigor le Grand est contigüe à la ville de Bayeux, et lui sert de limite au nord-est. Avant la révolution, elle appartenait au doyenné de Creully ; dans la nouvelle division de la France, en 1790, elle fit partie du canton de Magny ; enfin, à la suppression de cet éphémère canton, en 1801, elle fut définitivement incorporée à celui de Bayeux. Son territoire formait deux paroisses : Saint Vigor et Saint Sulpice. Le prieur de Saint Vigor nommait aux deux cures ; mais il y avait cette différence dans la collation de ces deux bénéfices, que le curé de Saint Vigor tenait sa juridiction de l'autorité épiscopale, tandis que celui de Saint Sulpice relevait immédiatement du doyen de l'église Cathédrale. Au rétablissement du culte, ces deux paroisses conservèrent leurs noms et privilèges respectifs ; mais, dès le 24 entôse an X1(15 mars 1803), un arrêté de M. Caffarelli, préfet du Calvados, sur la demande de Mgr Brault, évêque de Bayeux, supprima la cure de Saint Sulpice et l'annexa à celle de Saint Vigor. Toutefois, Saint Sulpice conserva son existence civile jusqu'en 1856, époque où un décret de Napoléon III prononça sa réunion à Saint Vigor.
Depuis cette réunion, la commune de Saint Vigor le Grand a pour abornements : Bayeux, Vaux sur Aure, Fontenailles, Magny, Sommervieu, Vienne, Esquay sur Seulles et Saint Martin des Entrées. Sa plus grande longueur, prise de la limite de Fontenailles à l'extrémité de la ferme du Recoucry, est de 5 000 mètres en droite ligne ; sa plus grande largeur, prise de la limite de Vienne au Pont Trubert, est de 3 000 mètres. Sa superficie est de 952 hectares. Elle paie annuellement à l'Etat 10 815 francs de contributions directes. D'après les derniers recensements officiels, elle compte 232 maisons, 281 feux et 901 individus. Mais la communauté de la Charité de Bayeux, qui vient de s'y établir, en ne changeant rien aux premiers chiffres, a porté celui de la population à 1 000 habitants.
L'aspect de Saint Vigor, pris du petit monticule qui domine Bayeux, est de l'effet le plus pittoresque. Du côté de la ville, les tours de la Cathédrale, avec leurs richesses architecturales ; les clochers de Saint Exupère, de Saint Patrice et de Saint Loup, d'un style plus simple, mais d'un effet charmant, présentent, avec les maisons, qui s'élèvent en amphithéâtre, la plus belle perspective. Du côté opposé, les nombreux vergers qui entourent le village, la fertile vallée de l'Aure et, avant tout, les bois de Vaux et de Magny, dont la cime semble se perdre dans les nues, forment un magnifique tableau.
Sous le rapport géologique, la commune de Saint Vigor offre beaucoup d'intérêt. La partie septentrionale est un calcaire oolithique d'une extrême richesse de fossiles. Souvent ses carrières ont été visitées par les géologues les plus distingués de la France et de l'étranger : elles sont renommées dans toutes les contrées de l'Europe (En 1841, un savant du Nord, M. le baron de Meyendorff, alors ambassadeur de Russie à la cour de Berlin, apprenant qu'un de ses amis se disposait à faire un voyage en Basse-Normandie, le chargea expressément de lui faire apporter des fossiles de Saint Vigor le Grand, pour enrichir sa collection). La partie méridionale se compose d'une couche de sable de vingt mètres environ, dans lequel se trouve aussi un grand nombre de fossiles du genre mollusques testacés.
Le sol de Saint Vigor, si l'on excepte quelques marais peu étendus, est très fertile. Les terres labourables produisent toutes les céréales et toutes les graines oléagineuses qu'on retrouve dans les autres parties du Calvados. Mais les cultures les plus répandues, comme étant les plus productives et convenant le mieux à la nature du terrain, sont le blé et le colza. En moyenne, la récolte du froment est de cinq mille hectolitres ; celle du colza, de trois mille cinq cents hectolitres.
La commune de Saint Vigor n'a qu'une industrie proprement dite : celle des dentelles. Mais elle n'admet pas de concurrence pour la perfection atteinte dans l'exécution de ce travail. A l'exposition universelle de 1855, dans la répartition des récompenses, elle figurait pour une large part : quatre médailles de deuxième classe lui furent décernées !
Saint Vigor était le siège d'une des sept baronnies qui formaient le temporel de l'évêché de Bayeux. Lorsque Mgr Louis de Harcourt, patriarche de Jérusalem et évêque de Bayeux, en fit faire le dénombrement, en 1475, elle se composait de quatre-vingt fiefs. Quoiqu'elle eût été érigée en haute-justice par Louis XI, les évêques ne s'y attribuaient que le droit de basse et moyenne justice : leur juridiction y était exercée par un sénéchal.
Il y avait aussi à Saint Vigor deux foires chaque année. L'une se tenait le 6 décembre, jour de Saint Nicolas, dans l'enclos de Saint-Nicolas-de-la-Chesnaye : la commune la céda gratuitement à la ville de Bayeux, en 1801. L'autre se tenait à la Toussaint, dans un lieu qu'on appelle encore la Foire-Toussaint. Cette foire, fondée en faveur des évêques de Bayeux, avait été cédée par Odon de Conteville, moitié aux évêques ses successeurs, et moitié au prieuré de Saint Vigor. "En la baronnie de S. Vigor" lisons-nous dans le "dénombrement du temporel" de l'évêché de Bayeux, " a vne foire nommee la foire Toussains, seante par chacvn an le iovr de la ditte feste Toussains, avpres de leglise S. Floscel dicellvy Bayevx, en vng liev ou territoire nomme le Feraige Toussains. Et a rayson dicelle compette a novs et a nos successevrs et avx religievx, prievr et covuent dudit liev de S. Vigor, par le don et omosne de prelat de bon memoire, Odo, notre predecessevr euesque de Bayevx, la covtvme de tovt les denrees et marchandises illec apportees et vendues, et aussi en la ville et forsbovr dicellvy Bayevx, trois iovrs parauant le dit iovr et trois iovrs apres"
A la révolution, cette foire devint la propriété de la commune. En 1806, la ville de Bayeux fit tous ses efforts pour s'en emparer; mais le conseil municipal de Saint Vigor, sur le rapport de M. Des Mares, maire, protesta énergiquement, et réussi à la conserver jusqu'en 1809.
A cette époque, de nouvelles démarches ayant été faites, la commune la céda moyennant cent cinquante francs de rente, que la ville de Bayeux lui sert encore aujourd'hui à titre d'indemnité.
Saint Vigor ne forme pas d'agglomération proprement dite. Outre le village de l'église, qui est un des plus considérables, il compte vingt cinq hameaux et quelques maisons isolées. Ce sont : le fief Sainte-Marie, les Francs-Maçons, la Bleste, les Caboches La Fosse-Borel, Saint Nicolas de la Chesnaye, le Recouvry, Caugy, la Mutte, Saint Jacques, la Croix Rouge, le Chêne David, les Clos-Philippes, le Clos-du-Vey, la Maison-Brulée, Sainte-Croix, la Rivière, la Couronne, le Moulin-au-Doyen, le Moulin-de-la-Fosse, Pouligny, Aunay, le Petit-Magny et Saint Sulpice.
Nous allons dire un mot de chacun de ces hameaux, auxquels se rattachent quelques souvenirs historiques.
Et d'abord, pour commencer par le premier village, signalons à quelques pas de l'église, le lieu dit Cour-d'Isigny. Ce petit domaine, aujourd'hui divisé entre plusieurs familles, était autrefois un fief relevant de la baronnie de Saint-Vigor. Il avait été donné par les évêques de Bayeux, à la charge, pour le donataire et ses successeurs, de répandre la paille devant le nouvel évêque, le jour de son installation, depuis le prieuré de Saint Vigor jusqu'à l'église de Saint-Sauveur de Bayeux. Aussi voyons-nous que, à chaque prise de possession, des vassaux de l'évêché présentaient de la paille au gentilhomme possesseur de ce fief, qui le répandait aussitôt sous les pieds du prélat, à mesure qu'il avançait.
Le fief Sainte-Marie est une antique gentilhommière, entourée d'un beau parc. Son nom lui vient d'une chapelle, élevée sur ce terrain, que les anciennes chartes appellent l'Egyciane, c'est-à-dire, chapelle dédiée à sainte Marie d'Egypte. Dans le xve et xvie siècle, il appartenait aux seigneurs de Saint-Vaast et d'Ondefontaine. Ces seigneurs étaient obligés de se trouver au prieuré de Saint-Vigor, de servir d'échansons à l'évêque de Bayeux, lorsqu'il y soupait, la veille de son entrée dans la ville épiscopale, de l'accompagner le lendemain, depuis Saint-Vigor jusqu'à la cathédrale, en tenant le coté gauche de sa chape ; mais alors le gobelet d'argent, dans lequel avait bu le prélat, leur appartenait. – Aux seigneurs de Saint-Vaast succéda, dans la possession de ce fief, vers 1650, la famille de Petit-Cœur. Antoine de Petit-Cœur écuyer, sieur de Beauvallon, acheta du prieuré de Saint-Vigor, le 1er septembre 1716, la portion de terrain sur lequel avait été bâtie la chapelle Sainte-Marie-d'Egypte, et la réunit à son domaine.
Antoine de Petit-Cœur, deuxième du nom, sieur de Beauvallon, le vendit, en 1755, à Catherine Le Flamand, veuve de Gabriel Des Mares.
Daniel-Toussaint Des Mares, maire de Saint-Vigor, succéda à Catherine Le Flamand, et le posséda jusqu'en 1815. A sa mort, le fief Sainte-Marie passa aux mains de sa petite fille, Mme Anna Des Mares, épouse en premières noces de M. Adelphe Quesnel de la Morinière, et en secondes, de M. le baron Ernest du Mesnil, ancien officier d'artillerie, membre du conseil général de la Manche.
La maison dite la Bleste (ou Blaître) était, dans le xiiie et le xive siècle, la résidence d'une famille noble du même nom. Dans une charte de 1309, Thomas de la Bleste est cité comme un des notables habitants de Bayeux. Aujourd'hui elle appartient aux derniers descendants de la famille de la Bigne.
Elle fut, il y a environ cinq ans, le théâtre d'un évènement qui eut un retentissement universel, et auquel nous consacrons une note à la fin de cet ouvrage : nous voulons parler du puisatier de Saint-Vigor.
A suivre……